Interview de Kenneth LeVasseur,
Spécialiste de la communication hommes/dauphins
Kenneth LeVasseur est spécialiste de la communication Inter, Intra et Intro-spécifique. Il étudie les dauphins depuis bientôt trente-cinq ans et défend un programme de “troisième phase” (le Third Phase Program) permettant aux cétacés qui travaillent avec les hommes de regagner leur liberté dès qu’ils le veulent. Dans le cadre de ce programme, les recherches sur l’établissement d’un langage interspécifique se baseraient sur la volonté de communiquer des animaux et prendraient place non en milieu fermé mais en milieu semi-ouvert, dans les delphinariums bordant les océans.
Question : Vous avez dit que « les dauphins ont une intelligence et un langage au niveau de l’humain adulte, voire supérieur ». A quel niveau estimez-vous l’intelligence des dauphins ?
Kenneth LeVasseur : Il me semble que cette affirmation était précédée de l’expression : « Il est fort probable que… ». Cette opinion vient du fait que j’ai vécu à 5 mètres d’un dauphin et à 15 mètres d’un autre durant 2 ans. J’ai également mené une analyse approfondie des recherches effectuées par le programme des Navy Dolphins (qui a débuté à la fin des années 50). Cette recherche est résumée à travers les articles de mon site Internet.
Q : Le “Third Phase Program” que vous défendez promeut-il une égalité entre hommes et dauphins (dans la mesure où le dauphin est libre de rejoindre l’océan) ? Cette liberté constitue-t-elle une reconnaissance de l’intelligence et l’individualité du dauphin ?
Kenneth LeVasseur : Le Third Phase Program promeut tout d’abord le respect pour le sujet de ces recherches. Ces dernières ont montré que les dauphins ont le potentiel (si ce n’est la possibilité effective – dans la mesure où les travaux de la Navy sont classifiés) de communiquer avec des êtres humains au niveau de l’adulte humain. Si ce potentiel existe, alors les chercheurs doivent être préparés – éthiquement – à remplir les conditions de respect que réclament ces capacités (qui définissent l’être humain) : en particulier le droit de ne pas être maintenus captifs.
Q : Pensez-vous qu’il soit réellement possible d’établir un langage commun entre hommes et dauphins ?
Kenneth LeVasseur : Il serait simple d’utiliser un langage sifflé humain tel que celui décrit par Busnel. Il pourrait être mis en œuvre dans une méthode similaire à celle que Batteau a utilisé pour communiquer avec les dauphins. Il est fort probable que ce protocole soit déjà utilisé par l’US Navy, mais qu’il reste top secret.
Q : Si ces recherches n’ont pas apporté les résultats escomptés, à quoi l’attribuez-vous ?
Kenneth LeVasseur : Premièrement, beaucoup de chercheurs ont sous-évalué la méthode de Batteau en raison de la campagne de désinformation menée par la Navy (voir l’article « On Dolphin Mental Abilities » sur le site Internet de Kenneth LeVasseur). Deuxièmement, il est regrettable qu’un grand nombre de chercheurs ne lisent pas les recherches originales mais se contentent de l’avis de personnes tierces sur ces recherches. L’analyse qu’on trouve dans mon article est basée sur ce travail original et montre comment il a été perdu, ignoré, mal interprété, ou corrompu pour servir la propagande de la US Navy.
Q : Avez-vous entendu parler des recherches de John Stuart Reid et Jack Kassewitz basées sur le Cymascope et pensez-vous qu’elles puissent permettre de décrypter le langage des dauphins ?
Kenneth LeVasseur : Le Cymascope attrayant d’un point de vue esthétique. Cependant, la communication entre dauphins est acoustiquement subjective et je ne pense pas qu’un engin puisse jamais recréer la compréhension d’un écho grâce à son caractère circulaire. De plus, je doute sérieusement que les dauphins communiquent avec des images, pas plus en tout cas que nos mots ne sont susceptibles de communiquer des images. Il y a de grandes similarités entre nos mots et les sifflements des dauphins. De plus, les dauphins émettent des sons qui dépassent largement notre ouïe. Il est donc très important de pouvoir réduire qualitativement un panel de 200KHz à 20KHz, de manière à apprécier la richesse de leur communication. (Cliquez ici pour entendre des extraits de vocalisation des dauphins.)
Q : Quels sont pour vous les faits qui permettent de revendiquer des droits pour les dauphins ?
Kenneth LeVasseur : Les capacités mentales des dauphins constituent le meilleur argument pour défendre leurs droits. La recherche sur cette question a montré que les dauphins possèdent des capacités mentales égales ou supérieures à celles de l’homme. Il est très probable que le cerveau des dauphins fonctionne si rapidement que les hommes leur apparaissent comme au ralenti.
Q : Pensez-vous qu’il faille réclamer des droits spécifiques pour les dauphins ? Dans ce cas, quel statut devraient-ils avoir dans la loi ? Si vous vous intéressez au sujet, que pensez-vous de l’application du Great Ape Project aux dauphins ?
Kenneth LeVasseur : Des droits spécifiques – au sens légal – devraient être demandés pour les dauphins une fois qu’il aura été établi qu’ils méritent une protection légale et des droits spécifiques. (Même actuellement, les dauphins et la plupart des animaux se voient accorder la protection contre les traitements cruels – même lorsqu’ils sont tués pour en faire de la nourriture.) Cela nécessitera une recherche scientifique en dehors du complexe militaro-industriel et de ses connections politiques. Je pense que les dauphins seront un jour considérés comme « peuple de la mer ». Le terme « peuple » n’est pas défini pour les humains mais pour des individus de droits dans un système légal. « Peuple » est un terme légal, pas biologique. The Great Ape Project (Projet Grand Singe) progresse très bien. J’accepte en principe toutes ses prémisses, pour autant que je les connaisse. Le Projet Grand Singe ne peut qu’aider les dauphins et leur quête de droits de la personne.
Q : Tolérez-vous la captivité pour des recherches scientifiques dans un cadre excluant le Third Phase Program ?
Kenneth LeVasseur : Si un chercheur se proclame assez intelligent pour communiquer avec un dauphin, ou s’il oriente ses recherches vers la découverte d’un moyen le permettant, alors il devrait prendre en compte la possibilité qu’il réussisse. Cette possibilité fait de la captivité une forme d’esclavage. Cet esclavage est inacceptable, même pour une recherche scientifique.
Q : Le Third Phase Program est-il actuellement appliquée ?
Kenneth LeVasseur : A ce que je sache, aucun laboratoire n’a adopté cette approche. Cela s’explique peut-être par des raisons d’inertie sociale, ou bien par sa nouveauté. Mon site web m’a aidé à promouvoir ce concept et un producteur de films a réalisé deux longs-métrages en s’appuyant dessus. De nouveaux textes allant dans ce sens paraissent chaque jour, ce qui est encourageant. Il faut peut-être juste un peu de temps pour que l’idée prenne.
Q : Avez-vous quelque chose à ajouter sur ce sujet de ce programme que je n’ai pas abordé ?
Kenneth LeVasseur : Le Third Phase program (ou un programme similaire) est la seule manière éthiquement responsable d’établir une communication avec les dauphins. Si cette approche n’est pas mise en œuvre, les chercheurs sont vraisemblablement engagés dans une parodie de recherche similaire à celle de Lou Herman pour la Navy, ici à Hawaï. (Cette recherche a débuté en 1984, après la publication de Richards et al. montrant qu’ils pouvaient établir une communication interspécidique à Kewalo Basin). La recherche de Kewalo a alors commencé à perpétuer la campagne de désinformation de la Navy à propos des capacités mentales des dauphins, et ils n’ont pas laissé la possibilité aux dauphins de répondre dans leurs recherches. La recherche de Kewalo s’est dès lors basée sur un système élaboré de commandes.
Q : Enfin, j’aimerais savoir ce qui vous a fait changer d’avis sur les dauphins et la manière dont vous les considérez aujourd’hui.
Kenneth LeVasseur : En 1975, j’étais à l’Université des Mammifères Marins de Louis Herman à Hawaï, dans le Laboratoire de Kewalo Basin, où j’ai vécu avec deux dauphins, Puka et Kea. Ma recherche personnelle concernait l’évaluation des capacités mentales des dauphins. La Navy et les delphinariums orientaient les chercheurs à penser que les dauphins avaient des capacités mentales situées entre celles du chien et celles du chimpanzé. Ceux qui considéraient les positions de John Lilly comme légitimes réalisèrent qu’il n’y avait pas d’argument scientifique établissant une limite supérieure aux capacités mentales des dauphins. Des événements qui se sont produits pendant que je vivais au labo m’ont persuadé que cette dernière posi
tion reflétait mieux la réalité.
Q : Quels événements vous ont persuadé du fait qu’il n’y a aucune preuve établissant l’intelligence à un niveau aussi peu élevé que celui donné par la Navy ?
Kenneth LeVasseur : En examinant la documentation disponible (dont les références sont données dans une bibliographie extensive sur mon site web) ; les articles, les chapitres de livre et d’autres sources ont montré qu’aucune recherche n’appuyait cette déclaration. Au contraire, ces sources montraient que cette déclaration n’est qu’une opinion et n’a pas de véritable base scientifique. Au mieux, ce sont des préjugés ; plus probablement, il s’agit de propagande.
Ensuite, en 1976, j’ai été diplômé de l’Université d’Hawaï avec un « Liberal Studies Degree » en Communication Inter, Intra et Introspécifiques. C’est cette même année que Louis Herman a fait une erreur professionnelle qui lui a coûté les fonds provenant du National Science Foundation, et qui lui a valu la censure de l’université. Les conditions du laboratoire se sont détériorées pour les dauphins. Louis Herman n’écouta pas nos plaintes, et le 29 mai 1977, avec Steve Sipman et quelques amis j’ai libéré Puka et Kea dans l’océan dans la Baie de Yokohama. J’ai promis à mon ami Puka que j’arriverai à savoir pourquoi la Navy et les delphinariums estimaient que l’intelligence des dauphins était si basse alors qu’il n’y avait aucune preuve scientifique pour l’établir. Mes vingt-deux ans de recherches sur les capacités mentales des dauphins m’ont montré que des motifs non-scientifiques et extérieurs motivaient cette opinion.
Je crois que la solution de la captivité des dauphins se trouve dans l’augmentation des limites fixées aux capacités mentales des dauphins. Elle consiste également à donner aux dauphins le choix de rompre la relation. Cette philosophie est incarnée par le Third Phase Program, qui est dédié au regretté Dexter Cate Aujourd’hui, je ne fais plus de recherche. Cependant, je continue à travailler sur nos interactions avec les dauphins.
Q : Que recommanderiez-vous aux personnes voulant aider à protéger les dauphins ? Kenneth LeVasseur : De lire le livre de Thomas White, In Defense of Dolphins: The New Moral Frontier. Mais il faut rester critique quant à sa conclusion, lorsqu’il dit que les dauphins élevés en captivité ne peuvent être réintroduits dans l’océan. Il est nécessaire de prendre en compte une approche telle que celle du Third Phase Program.
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Interview très intéressante !
Par contre, je trouve très curieuse la réflexion : »Si un chercheur se proclame assez intelligent pour communiquer avec un dauphin, ou s’il oriente ses recherches vers la découverte d’un moyen le permettant, alors il devrait prendre en compte la possibilité qu’il réussisse. Cette possibilité fait de la captivité une forme d’esclavage. Cet esclavage est inacceptable, même pour une recherche scientifique. »
A mon sens l’esclavage est inacceptable, que l’on réussisse à communiquer ou non ! Et même, il est inacceptable que « l’esclave » soit intelligent ou non !
Bonjour Talita,
C’est très juste. Je crois qu’en disant cela, Ken pense à des chercheurs qui mènent de telles recherches (tel Lou Herman) et, ce faisant, adoptent une démarche non-éthique, et donc contradictoire avec ce qu’ils présupposent.
Ceci étant, comme le dit Ken Levasseur, les recherches de Kewalo Basin s’assimilent à une parodie. On le voit bien au début du reportage IMAX sur les dauphins par exemple.
[…] de los delfinarios son relacionados por intereses comunes. Es lo que sostiene entre otras cosas Kenneth LeVasseur: ¡ si unos científicos financiados por el Oficio of Naval Research (es decir, una buena parte de […]
[…] des delphinariums sont liées par des intérêts communs. C’est ce que soutient entre autres Kenneth LeVasseur: si certains scientifiques financés par l’Office of Naval Research (c’est-à-dire, une bonne […]