J’aime beaucoup le blog de Moukmouk, un grand connaisseur et amoureux de la nature. Pour cette raison, je suis heureux de partager ici un de ses billets sur le langage des épaulards, ainsi qu’un texte qu’il a tout spécialement écrit pour répondre à mes questions. En espérant que vous apprécierez autant que moi ce blog plein de sagesse, je vous souhaite une très bonne lecture !
“La version d’Isali”
par Moukmouk
“Je m’ennuie de ma copine épaulard dont je n’ai pas de nouvelles depuis… fiou… alors en faisant une reprise, j’ai espoir… Comme promis, j’ai demandé à Isali ce qu’elle pensait des requins. Il est nécessaire de savoir qu’Isali est une jeune épaulard, joueuse, enthousiaste, et qui n’hésite pas à en rajouter un peu (beaucoup) pour se rendre intéressante. Parce qu’elle est intéressante, et qu’elle n’est pas la seule à utiliser ce genre de processus, je lui pardonne aisément.”
“Commençons par un petit cours de langue épaulard. Le système de vocalisation des épaulards est très complexe et ils peuvent émettre plusieurs sons en même temps. De plus, le registre est beaucoup plus étendu que la capacité de nos oreilles, alors on est souvent obligé de regarder l’onde à l’oscilloscope pour comprendre ce qui se passe.
Quand Isali me parle, elle coupe volontairement les ultra-sons pour que je puisse suivre ce qui se passe, mais cela limite ses enthousiasmes. Les épaulards sont souvent dans une soupe très riche de plancton où les yeux sont pratiquement inutiles. Aussi avec l’écholocation, ils sont en mesure de construire une image très précise de leur environement, de « voir » une crevette de 2 cm à dix mètres, et surtout de percevoir les positions des membres du clan au millimètre près.
Pour cela, les épaulards « parlent » presque continuellement. Bien sûr, on entend surtout les « tocs » de l’écholocation longue distance, et une sorte de bruit de friture qui est la partie audible, la majorité étant trop haut pour nous, de l’écholocation courte distance. L’épaulard répète aussi très souvent une identification sonore, son nom en quelque sorte, qui fait que les autres membres de son clan savent où il est.
Un exemple, Isali :
En voici maintenant son meilleur ami, Nirlik :
[audio:https://www.blog-les-dauphins.com/wp-content/uploads/2009/10/Nirlik.mp3]Dans cet extrait, il semble y avoir beaucoup de bruits de fond. Isa rajoute de l’écholocation courte distance pour indiquer que Nirlik est très « près » d’elle. Nillik, en Inuktitut cela veut dire : le noiraud. Pour un épaulard cela veut presque dire, le beau garçon. Cela démontre qu’il n’y a pas que chez les ours et les humains que les mâles se trouvent beaux.
Alors, voilà ce qu’Isali dit des requins :
[audio:https://www.blog-les-dauphins.com/wp-content/uploads/2009/10/Isapeur.mp3]Mon interprétation : “Moi Isali, nous étions Caro, Nirlik et Isali, nous nous étions éloignés du groupe parce qu’ils y avaient des phoques à chasser. La vitesse était belle. Et puis nous avons perçu un grand monstre silencieux, alors nous avons foncé dessus en criant très fort, et nous l’avons forcé à plonger très profond, et les membres du groupe nous ont entendus et sont venus nous entourer.”
Le ton indique vraiment : nous sommes braves n’est-ce pas ? Puisqu’il y avait des phoques ( et pas des otaries) l’histoire se passe en eaux froides. La rencontre d’Isali est probablement avec un requin-pèlerin, qui est énorme (entre 16 et 20 mètres) mais ne mange que du plancton. Alors pour la bravoure…
Nous n’avons pas appris grand-chose sur les requins, mais beaucoup sur l’intelligence des épaulards et leurs capacités de raconter de belles histoires.”
Rencontre avec
Moukmouk de Pohénégamouk
J’avais plusieurs questions à poser à Moukmouk. Pour quelles raisons a-t-il ouvert son blog ? D’où vient son intérêt pour le langage des épaulards et comment fait-il pour les enregistrer ? Quelles relations entretient-il avec eux ? Et comment fait-il pour interpréter ce qu’ils lui racontent ? A partir de ces dernières, il a écrit le texte que voici :
“J’ai ouvert ce blogue en mai 2006, et me voilà 1100 billets plus tard. Ça fait donc un billet par jour ou presque. Je ne pensais pas écrire autant, mais nos lecteurs aiment la régularité, c’est la meilleure façon de rejoindre des gens, qui arrivent forcément par hasard, et reviennent parce qu’ils ont aimé. Mon premier objectif était de renouer avec l’écriture en langue française. Pour un tas de raisons, je travaillais et écrivais en d’autres langues, d’ailleurs la grande quantité de photes devrait être la preuve que j’ai encore du travail à faire. Pour le reste, j’essaie de dire la Beauté du monde, puisque c’est la seule raison de vivre.
J’ai beaucoup d’intérêt pour la thérolinguistique, l’étude des langues des animaux sauvages. Il n’y a pas d’animaux supérieurs, de races dominantes (ou alors, je n’en fais pas parti) et tout ce qui est vivant participe au Chant de la Beauté du Monde, alors j’écoute et je tente de comprendre tout ceux qui parlent ou chantent, ils ont peut-être une solution pour sauver notre petite Planète puisque les humains n’en ont pas.
Il y a une tradition dans les contes de la fédération Mi’gmah (Micmac) où des hommes un peu fous tentaient d’écouter les baleines parce que nous en sommes le rêve et qu’elles pourraient alors nous apporter la sagesse. Je tente de participer à cette démarche avec les technologies modernes. Je ne sais pas si j’ai acquis un peu de sagesse mais je doute de plus en plus de la sagesse des hommes. Faut dire que sur cette voie, les loups et les oiseaux sont plus faciles à comprendre, sans doute une question de parenté de pensée plus facile à réaliser.
Pour les dauphins, je me contente de tenter d’en comprendre la structure, la logique discursive est trop différente, l’intensité de la communication (largeur de bande et rapidité) trop grande pour nous permettre de chercher du sens. Par contre, le discours très complexe et continuellement échangé, répété et modifié, nous donne une bonne idée de ce que sera la communication par Internet quand nous serons débarrassés des claviers, et que nous pourrons discuter de cerveaux à cerveaux via des ordinateurs.
Parmi les dauphins, les épaulards (les plus gros dauphins) représentent un intérêt particulier parce qu’il y a beaucoup de légendes et que la langue Kwakiutl tente de s’inspirer du discours des épaulards. De plus, les épaulards ont des cultures différentes d’un groupe à l’autre et possiblement une lente réflexion sur ces différences nous permettrait de peut-être avancer dans la connaissance.
Mais enregistrer des dauphins et des épaulards est particulièrement difficile. Pour les oiseaux et les animaux, il est possible de se servir de micros très directionnels au foyer de coupoles, ce qui nous permet d’aller chercher un son parmi tout le bruit que fait la forêt. Par contre dans la mer, ça prend des hydrophones et comme le son est 5 à 7 fois plus rapide et le bruit beaucoup plus fort, il faut filtrer, découper et travailler longuement pour n’avoir que le son que l’on cherche.
Et puis si on peut adapter presque tous les micros du commerce pour en faire des hydrophones, la plupart de ceux-ci sont construits pour les humains avec des dynamiques qui vont de 60 à 10K hertz et donc pratiquement inutiles pour enregistrer des dauphins puisque l’essentiel du message (je pense) se passe entre 50Khertz et 200 Khertz, ce qui permet une densité d’information proche de l’image télé. Mais des micros comme ça, on ne peut pas en acheter et la plupart de ceux-ci représentent le mémoire de maitrise d’un étudiant acousticien.
Bien sûr, nous ne pouvons pas entendre ces sons, on ne les voit que comme des traces sur oscilloscope et encore il faut les ralentir pour tenter de suivre, nous sommes de si médiocres communicateurs. En divisant l’onde, on peut faire des sons audibles pour les humains, mais c’est comme d’entendre une symphonie jouée sur un élastique.
J’ai raconté pour les enfants de tous les âges, des histoires d’Épaulards, pour tenter de transmettre un peu de ce que je sais des mammifères marins. L’idée m’en est venue une année où j’étais sur les bords de la baie d’Hudson, où j’ai vu des jeunes épaulards ce qui est quand même exceptionnel.
Les adolescents mammifères marins font de grands voyages, parce que les voyages forment la jeunesse et que sans doute le poids du clan devient très lourd pour des jeunes qui veulent devenir adultes. Les trois que j’ai vus en baie d’Hudson, étaient du clan Toloyak (on le sait par leur langage). Ils ont dû traverser dans la baie d’Hudson par la passe d’Igloolik (l’Ile d’Omonde), passe peu profonde et qui gèle rapidement.
Sans doute ces trois-là se sont retrouvés prisonniers dans la grande Baie, à attendre que la glace parte et que le chenal ouvre à nouveau. Pour d’autres recherches, j’avais à ce moment un équipement très sophistiqué et je ne me suis pas gêné pour enregistrer le plus possible ces adolescents plus mal pris que rebelles.
[audio:https://www.blog-les-dauphins.com/wp-content/uploads/2009/10/partysaumon.mp3]Enregistrement d’un épaulard du Pacifique (île Graham) racontant sans doute une chasse au saumon
Peut-on avoir des relations avec des épaulards ? Oui sans doute dans un bassin fermé sans contact avec son clan, un épaulard acceptera de communiquer avec vous, faute d’une relation plus riche. Un épaulard rejeté de son clan aussi pourrait désirer communiquer avec des humains… comme une petite vieille qui parle à sa perruche ou à son chat parce que plus personne ne vient la voir. Mais répétons-le, la façon d’échanger et de penser des dauphins est vraiment très très loin de la notre, parce qu’elle implique un échange continu à des vitesses dont nous sommes totalement incapables, probablement limité par le caractère [NDR: le mot].
Mes interprétations du langage épaulard procèdent de la même technique qui fait que vous comprenez très bien votre chien, votre chat qui veut des croquettes ou sortir dehors. Pourtant, ces animaux sont capables de beaucoup plus, comme ronronner pour vous guérir, mesurer votre taux de sucre dans le sang, ou exiger d’être caressés parce que vous êtes triste. Les épaulards sont capables de beaucoup plus, c’est moi qui suis trop limité.
Ce que je tente de dire, c’est qu’il n’y a pas d’animaux supérieurs ou inférieurs. Il y a la vie, et nous participons ensemble à la vie. Et n’oublions pas que les vers de terre sont plus utiles, réalisent plus pour la vie que les épaulards et les humains réunis.
Moukmouk
Quelques petites questions supplémentaires :
Que veut dire Moukmouk ? Moukmouk est le nom d’une île au Québec. C’est aussi le noms des petits ours maladroits dans les dialectes Inuktituts de l’Ouest.
Et Pohénégamouk ? “Pohénégamouk”, c’est du Wollustoukii, ou le Malécite comme le disent les Européens, qui est un dialecte de la langue Alghonkienne. Et ça veut vraiment dire » la belle endormie ». Pohénégamouk c’est précisément l’endroit où les États-Unis montent le plus au Nord, c’est la pointe Nord de l’état du Maine.
Un grand merci, Moukmouk. Et au plaisir de continuer à te lire 😉 !
A lire :
Merci pour tous ces liens. L’important c’est de dire la Beauté du Monde, c’est le seul espoir de survie qu’il nous reste.
Bonjour,
merci pour ces belles photos.
Fraternellement,
C.B.
De rien Collette !
A bientôt 😀
ccc sa&va mes j aimerait bien avoirt un blog sur les dauphin
« Et n’oublions pas que les vers de terre sont plus utiles, réalisent plus pour la vie que les épaulards et les humains réunis. »
Moukmouk, Vous non plus, vous n’échappez pas à la tentation de mesurer et juger le réel et la valeur ajoutée des êtres vivants ?